Le Premier ministre, dans une interview à son bureau à Anosy, mardi, a mis en avant les choix politiques de l’Exécutif qui nécessitent des concessions afin d’atteindre les objectifs de croissance économique. Il explique, par ailleurs, que certains paramètres qui ont entraîné les gros problèmes actuels, sont indépendants de la volonté du gouvernement.
L’Express de Madagascar. Avec l’inflation et le délestage ; notamment, la situation socioéconomique tend à devenir intenable. Quelle explication nous donneriez-vous ?
Le gouvernement fait beaucoup d’efforts afin de mener à bien certaines réformes. Même si, reconnaissons-le, celles-ci ne produirons pas de résultats dans l’immédiat, des sacrifices seront même nécessaires pour pouvoir les mener à terme. Mais ne perdons pas de vue l’objectif qui est le redressement économique du pays. Ainsi, concernant le secteur énergie, l’État compte élargir le plus possible le taux d’accès de la population à l’énergie qui est aujourd’hui de 15% seulement. Alors que cela nécessite une lourde subvention. Il en est de même pour l’accès à l’eau potable. Le but est de proposer de l’électricité à un tarif accessible à la majorité des Malgaches et de réduire les dépenses concernant la Jirama. La solution est de basculer vers l’énergie renouvelable comme l’énergie solaire dont les projets sont déjà en cours et seront opérationnels dans quelques mois. À court terme, l’utilisation du fuel lourd est aussi au programme, le lancement devant se faire dans les six mois à venir. Cela passe également par l’amélioration de la gouvernance au sein de la société énergétique, le recouvrement des factures impayées et la lutte contre les vols d’électricité.
Pour le secteur énergétique en particulier, la mise en place des réformes sont-elles vraiment les causes du problème actuel ?
Non, les réformes ne sont pas les seules en cause. Il y a aussi des paramètres qui ne peuvent pas être contrôlés par le gouvernement, des imprévus que sont surtout les conséquences du changement climatique. À cause de la sécheresse, par exemple, il n’y a plus qu’une seule turbine à fonctionner à la station d’Andekaleka. Ce qui implique une augmentation des coûts car les centrales thermiques doivent fonctionner à plein régime.
Qu’en est-il de l’inflation ?
Sur ce sujet, quelques explications sont à donner. La première est que, lorsque le président de la République a annoncé l’augmentation des salaires de 7% en début d’année, des opérateurs ont tout de suite augmenté les prix alors que la mesure n’est pas encore effective car il y a des procédures à suivre. En face, il y a aussi l’application de la vérité des prix à la pompe. Je tiens à souligner que nous ne remettons pas en cause ce principe (…) Seulement, lorsque les gens apprennent que le prix du carburant augmente, ils augmentent aussitôt le tarif des produits qu’ils vendent. Depuis septembre, le gouvernement a déjà anticipé la période de soudure. J’avais donné une consigne au ministre du Commerce pour qu’il fasse une projection des besoins nécessaires pour éviter les problèmes- surtout en ce qui concerne l’approvisionnement en riz- et l’inflation des denrées alimentaires. Mais ici encore, des faits indépendants de la volonté de l’Exécutif entrent en ligne de compte. Parce que le terme sabotage économique est peu apprécié, je parlerais donc de spéculation. Ce qui ne devrait pas avoir lieu d’être car l’ariary se porte bien par rapport à l’euro et au dollar. Sur le marché international, le prix du riz et le coût de son transport se sont sensiblement réduits. De surcroît, le riz bénéficie d’une exonération d’impôt. Aussi pour y remédier, le gouvernement a-t-il décidé de procéder à des vérifications de stocks et de sanctionner les spéculateurs. À l’heure actuelle, le gouvernement est dans l’obligation de gérer cette situation inflationniste, tout en gardant le cap de la relance économique. Pour 2017, l’objectif de croissance est de 4,5%. Certains pourraient se demander : puisque la croissance augmente où est l’impact sur le quotidien de la population Je vous assure qu’à terme les projets structurants mis en place, comme sur l’énergie, améliorera le quotidien des ménages.
Parlant de l’impact sur la vie de la population, comment atteindre cet objectif de croissance alors que les 15% de la population que vous avez évoqués et qui concentrent l’essentiel de la force productive du pays, sont paralysés par le délestage ?
C’est pour cela que l’État a organisé la conférence des bailleurs et des investisseurs (CBI). Le gouvernement a constaté que, malgré tous les efforts fournis et faits pour améliorer les recettes fiscales, nos ressources internes ne suffisent pas à contenir l’inflation et assurer la croissance. Les projets présentés à la CBI sont immédiatement réalisables et auront des impacts directs sur la vie de la population et des effets multiplicateurs. Vous dites que ces 15% concentrent les forces de production du pays. C’est vrai, mais ces projets permettront de diversifier les pôles de production et la création de richesses qui soutiendront les objectifs de croissance. Cela permettra surtout de renforcer le secteur privé. Un élément essentiel pour booster l’économie de Madagascar.
Certes, mais quand seront concrétisées, décaissées les promesses faites durant la CBI ?
Les acquis de la CBI sont, d’une part, les promesses faites par les bailleurs traditionnels et d’autre part, celles, à hauteur d’environ 6 milliards de dollars, qui viennent du secteur privé. La question « à quand le décaissement » ne se pose pas pour celles-ci car des projets sont déjà engagés, de l’argent déjà déboursé. Pour d’autres comme l’Union Européenne, il y aura des choses qui démarreront durant ce premier semestre et d’autres durant le second. Les seules exigences pour obtenir les décaissements sont la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption. Ce sont des paramètres nécessaires car personne ne vous donnera ou vous prêtera de l’argent qui sera dépensé n’importe comment. Et comme l’a dit le président de la République, une structure sera mise en place pour le suivi de l’utilisation de ces fonds. (…)
« Nous sommes en train de démanteler un réseau afin de pouvoir mettre en place une base solide pour la relance. Cela concerne, notamment, la Jirama »
En parlant de corruption justement, la note et le classement de Madagascar ont reculé sur l’Indice de perception de la corruption alors que la lutte contre ce fléau est martelée dans tous les discours officiels, à tous les niveaux. Ce classement indique, pourtant, que la population ne ressent pas l’efficience de ce combat. À quand les actions concrètes ?
Comme vous l’avez dit, il s’agit d’un indice de perception qui traite de la perception par la population des actions du gouvernement en matière de lutte contre la corruption. Est-ce à dire, concrètement, que nous avions régressé Moi j’ose affirmer que, par rapport à la situation difficile de la Transition, nous avons fait de gros progrès. À titre d’exemples, le dépôt de la déclaration de patrimoine par les hauts responsables étatiques, ou encore le fait que l’année dernière, il n’y a eu aucune exportation de bois de rose. Maintenant des tentatives de commerce illicite de nos ressources naturelles ou minières sont saisies, des réseaux sont démantelés. Certains pourraient dire qu’il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg, mais des efforts sont déployés et il y a des résultats.
Nous parlons justement de perception car le sentiment général est que les prises ne sont effectivement que la partie émergée de l’iceberg. Que très rarement ceux qui sont aux commandes des trafics, les gros bonnets sont appréhendés ou même inquiétés. Quelles sont les mesures concrètes à prendre pour renverser cette perception ?
Il y a effectivement les indices visibles. Mais j’insiste sur l’existence des efforts déployés. Vous diriez peut-être qu’il ne s’agit que de principes, mais les actions doivent débuter par des cadres légaux. Il y a la nouvelle loi sur la lutte contre la corruption ou encore celle sur la mise en place des Pôles anti-corruption (PAC). Vous dites que les gros bonnets ne sont pas inquiétés, mais cela va changer. Pour rassurer la population, je tiens à dire que nous sommes partis de très loin, de très bas, mais nous remontons la pente. L’on ne peut pas, le Président ne peut pas faire de miracle en trois ans. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la lutte contre la corruption est la responsabilité de tous, des dirigeants comme des citoyens, de la société civile, de la religion. La première chose est l’éducation. Il faut ainsi commencer par oser refuser de subir et de dénoncer ce qui ne va pas, ce qui est illégal. Et quoique l’on dise, la stabilité entre en ligne de compte (…)
Pour en revenir aux difficultés socioéconomiques actuelles, vous avez évoqué des paramètres indépendants de la volonté du gouvernement tels les effets du changement climatique. La situation ne pouvait-elle pas être anticipée D’autant plus que la météo a déjà annoncé, l’année passée, que la pluie tarderait à venir.
Il est difficile de maîtriser le changement climatique, d’anticiper la portée de ses conséquences, même si nous savons qu’il y en aura. Là où le bât blesse, c’est que l’absence de pluie est également provoquée par la déforestation et les feux de brousse. Il est vrai que gouverner c’est prévoir, (…) et nous avons déjà pris des mesures en prévision d’insuffisance des précipitations, comme l’augmentation de la puissance des centrales thermiques, mais il était impensable d’imaginer que le niveau de l’eau se soit rendu aussi bas, qu’une nouvelle plage se forme, par exemple, sur le lac Mantasoa.
Face à ce constat, la réaction du gouvernement n’a-t-elle pas été tardive Il a fallu, par exemple, attendre la Jirama pour qu’il y ait un appel à utiliser l’eau avec parcimonie et encore, parce qu’il y a risque d’assèchement des cours d’eau qui alimentent la capitale.
Ça a été une fausse nouvelle car nous avions un plan B. Les vannes du barrage d’Antelomita, qui retiennent une réserve d’eau suffisante pour la capitale durant deux à trois mois, n’ont pas encore été ouvertes. Alors pourquoi faire des déclarations qui sèment la panique parmi la population Si le gouvernement n’avait pas encore lancé l’alerte, c’est que nous avons encore assez de réserve pour approvisionner en eau potable et fournir de l’eau pour alimenter une partie de la production en électricité.
Cela n’empêche pourtant pas que le délestage se soit sensiblement intensifié, pourquoi donc ?
Nous avons le choix : soit nous déboursons plusieurs centaines de milliards d’ariary pour résoudre les problèmes de délestage, alors qu’avec 300 milliards d’ariary, par exemple, nous pouvons réhabiliter la route entre Ambilobe et Vohémar qui fait jaser dans le Nord, soit nous faisons des économies sur les subventions pour pouvoir les réaffecter à des investissements. Voilà le courage politique à avoir. Il y aura des sacrifices à faire comme je l’ai dit, les résultats ne seront pas immédiats, mais se serrer la ceinture, aujourd’hui, permettra de parvenir à une solution durable.
Mais à force de serrer la ceinture l’on s’étouffe, jusqu’à quand cela va-t-il durer ?
Les chantiers pour mettre fin au délestage sont déjà en marche. Il y a un sujet sur lequel certains ont soutenu que j’ai menti, mais pour Antananarivo, à l’heure actuelle, mettre fin aux coupures est faisable. C’est pour cela que le nouvel administrateur délégué a été nommé. Il aura à élaborer un business-plan et mettre en place en trois mois le mécanisme d’amélioration du système de gouvernance au sein de la Jirama et lutter en même temps contre le délestage dans la capitale.
Vous avez annoncé la fin du délestage à Antananarivo à la fin de l’année, mais cela n’a pas été suivi d’acte. Cela voudrait-il dire qu’il y a un dysfonctionnement dans les rouages de l’Administration ?
Nous sommes en train de démanteler un réseau afin de pouvoir mettre en place une base solide pour la relance. Cela concerne, notamment, la Jirama. Il ne s’agit pas de viser des personnes en particulier. Toutefois, une chose est inconcevable : vous présentiez des éléments au chef du gouvernement pour arrêter le délestage dans la capitale, tout ce que vous demandiez vous sont fournis, l’on annonce la fin des coupures, pourtant ces dernières continuent. Nous n’avons pas considéré comme une sanction la révocation de certaines personnalités, mais comme une manière de procéder à l’assainissement de la filière énergétique car il y a plusieurs dysfonctionnements. Plusieurs personnes doivent être remplacées pour que l’on puisse changer le mode de gouvernance de la société Jirama. Ces deux choses vont de pair, il faut changer le système, mais cela passe aussi par des changements de tête. Certains sont en place depuis plusieurs dizaines d’années.
Une requête
Durant l’entretien, le Premier ministre Mahafaly a aussi demandé de ne pas réagir sur les circonstances de sa participation à la communion durant la grande messe de Mahamasina, le 29 janvier.
Propos recueillis par Garry Fabrice Ranaivoson