La version de la police dans l’affaire de Befandriana-Nord fait face à une vague de démentis. Le ministre de la Sécurité publique change de langage.
Cinglants. Les démentis de la version des faits servie au public par la police nationale sur l’affaire de Befandriana-Nord, se sont enchaînés hier. Le procureur de Mandritsara, les prêtres et habitants de ce district accablent les éléments des Forces d’intervention de la police (FIP) de Mahajanga et Antsoihy. Ils affirment la responsabilité de ces derniers, dépêchés sur place, dans l’incendie de cinq villages dans la commune d’Antsakabary.
Les locaux ont été les premiers à dégainer dans la contre-attaque de « la version officielle » de la police nationale, par le biais d’interventions téléphoniques sur des médias privées de la capitale. En parallèle, une déclaration signée par des « prêtres natifs » de Befandriana-Nord, partagée dans plusieurs rédactions d’Antananarivo, accable la quarantaine d’éléments des FIP. Un désaveu confirmé par le père Christophe Amino, curé de Befandriana-Nord, soutenant que « des religieux œuvrant dans ces localités ont confirmé les faits ».
Le coup de grâce a été asséné par le Syndicat des magistrats de Madagascar (SMM). Dans une interview diffusée par TvPlus Madagascar, Fanirisoa Ernaivo, présidente du SMM, a rapporté les informations dont leur a fait part le procureur de Mandritsara. Le compte-rendu que « la gendarmerie nationale », sise à Befandriana-Nord, a fait parvenir au représentant du ministère public, à Mandritsara, fait état de cinq villages incendiés, avec au total 487 habitations réduites en cendres, ainsi que le décès d’une malvoyante âgée.
Enquête judiciaire
L’arrestation de près de 400 personnes a aussi été dite durant l’interview diffusée, hier. La présidente du SMM ajoute que le rapport reçu par le procureur de Mandritsara impute « la responsabilité de l’incendie des villages aux éléments des Forces d’intervention de la police ». Que la quarantaine de policiers « a incendié les villages où ils ont constaté que les habitants ont pris la fuite ». Joint au téléphone, Fanirisoa Ernaivo réfute l’idée de désavouer la Police nationale.
« Le ministère de la Sécurité publique a sa version des faits, et s’est pliée à l’obligation de la communiquer au public. Pareillement pour la Justice.
Il n’y aucune intention de désavouer qui que ce soit. Laissons l’enquête établir la vérité », a déclaré la présidente du SMM. Le procureur de Mandritsara « a décidé l’ouverture d’une enquête », indique-t-elle, en ajoutant que, face à la portée du dossier, la juridiction de Mandritsara a demandé à en être dessaisie, au profit de celle de Mahajanga.
La descente massive des FIP de Mahajanga et Antsoihy dans la commune d’Antsakabary est une réaction au lynchage d’un brigadier et d’un agent de police, accusés de « racket » par les villageois, le 11 février dernier. Une réaction dont l’objectif annoncé était d’arrêter les responsables des deux vindictes populaires, mais qui, à en croire les faits rapportés par les locaux, s’est transformée en « expédition punitive ».
Des femmes et des enfants, notamment, auraient essuyé des coups et se sont vu imposer une marche forcée de plusieurs kilomètres, ainsi qu’une nuit à ciel ouvert, dans la localité de Tavenina. Cette « vengeance policière », la hiérarchie, ou du moins, le commandement des éléments sur terrain, a vraisemblablement tenté de le camoufler. Contacté, le contrôleur général de police Norbert Anandra, ministre de la Sécurité publique, a mis de l’eau dans son vin et changé de discours.
Devant la presse jeudi, il a affirmé que le rapport qui lui est parvenu fait état de « huit cases brûlées par une aliénée mentale [ayant agi seule] ». Dédouanant les éléments des FIP de toute responsabilité, le membre du gouvernement a accusé la presse de « propagation de fausses nouvelles en vue d’envenimer la situation ». Au téléphone hier, celui qui a sermonné les journalistes en leur demandant de « bien recouper les informations », a indiqué « si vous avez remarqué, je n’ai fait que lire le rapport qui m’a été remis ».
Le ministre et son staff n’auraient-ils donc pas contre-vérifié le rapport à eux transmis, avant d’en faire une « lecture » publique Sous les feux croisés de l’opinion qui peine à croire qu’une quarantaine d’éléments d’intervention n’aient pas pu empêcher « une aliénée mentale » d’incendier cinq villages, et face aux démentis à la pelle, le contrôleur général de la Police, actuellement à Befandriana-Nord, a soutenu : « Attendons de voir les résultats de l’enquête ».
Flagrant délit d’atteinte à l’ordre public
Pour la présidente du SMM, les faits d’Antsakabary peuvent être qualifiés de « flagrant délit », d’atteinte à l’ordre public et destruction de bien d’autrui. La magistrate Ernaivo ajoute, cependant, que les auteurs de l’acte n’ont pas été pris en flagrant délit. Aussi, si l’enquête confirme la responsabilité des éléments de la police nationale dans cet incendie de 487 habitations ayant fait un mort, « une demande d’autorisation de poursuite » de la part du commandement policier sera ainsi nécessaire.
Lors de l’entretien téléphonique d’hier, le ministre Norbert Anandra a déclaré : « Personne n’est au-dessus de la loi. Si le tribunal estime qu’il est nécessaire d’enquêter ces policiers, ils seront à sa disposition. D’ailleurs, dès le début de leur formation, il est martelé aux éléments que nul n’est au-dessus de la loi ». Charles Andriamiseza, ministre de la Justice, sur cette affaire de Befandriana-Nord, a soutenu, en marge de l’inauguration de la maison des avocats à Anosy, jeudi, qu’une fois au fait des tenants et aboutissant du sujet, la machine judiciaire se mettra en marche. À lui d’assurer « que la justice sévira contre tout acte illégal, qui que ce soit l’auteur ». Ainsi soit-il.
Garry Fabrice Ranaivoson