Lâché par ses freins après un problème de passage de vitesse, un bus transportant des fidèles FJKM a fait quatre tonneaux. Vingt morts et cent trois blessés sont répertoriés.
Un amas de ferrailles fumantes gisant sur le flanc d’une colline de steppe dévastée par les flammes sur un rayon de 300 mètres. Des corps carbonisés piégés entre des feuilles de tôles calcinées et des structures métalliques courbées. «Moi-même, je ne sais vraiment pas comment m’y prendre. Il faut que je découpe un à un ces tubes et charnières en acier, pour désincarcérer ces deux dépouilles noircies », lance Salohy Razafimandimby. Tenant avec vivacité une disqueuse tournant à plein régime, ce ferrailleur de Soaniadanana s’attaque avec rage sur la structure métallique, malgré les à-coups d’inertie qui font résistance. Ses efforts ont fini par payer. En fin d’après-midi, seize corps désagrégés ont été désincarcérés de l’épave du bus à étage, avec l’appui du Corps de Protection Civile, portant ainsi à vingt le nombre de morts répertoriés. Sur les cent-un rescapés, quatre-vingt-dix-sept ont été transférés à l’hôpital d’Ampefi- loha. Les premiers secours ont été prodigués à Antsirabe.
Les victimes de ce bus de la mort sont des fidèles de l’église protestante «Andon’i Hermona» Soavinandriana, dont des scouts ainsi que des pèlerins de la section des jeunes chrétiens (STK). Ils allaient se rendre à Mahajanga pour un rassemblement national lorsque leur périple a viré au drame au point kilométrique 72 du national 4.
La mort semble avoir pisté les occupants de la Mercedes Neoplan, impliquée dans ce tragique accident dès qu’ils ont quitté Ampefy dans la matinée de lundi vers 9 heures.
«Nous étions près de cent quarante à bord. Des problèmes persistants de passage de rapports ainsi qu’une défaillance au niveau du système d’air ont été signalés. En arrivant à Imerintsiatosika, il a fallu qu’on fasse un arrêt suite à une crevaison», confie la pasteur Saholinirina Raharivola, représentante du comité central de la STK auprès de synode de Soavinandriana.
Cargaison humaine
Le bus bondé de monde a poursuivi sa route sur l’axe Ouest sitôt la roue remplacée. La mécanique a résisté tant bien que mal sur un bout de chemin, jusqu’à ce que les problèmes techniques auxquels on ne semblait pas avoir accordé une grande importance ne trahissent le mastodonte. Dans la pénombre totale, la Mercedes Neoplan a gravi la forte montée en lacet d’Antanetilava puis de Sambaina, où une double chicane serrée guette dangereusement les automobilistes les plus imprudents. En guise de mise en garde, un garde-fou de parapet zébré se dresse sur côté droit de la route, surplombant un ravin à la paroi inclinée qui plonge à une cinquantaine de mètres en contrebas. Le bus a étage est passé sans anicroche sur ces points rouges, jusqu’à ce que la mécanique ne le mette au tapis.
«Le contrôle du véhicule a échappé au chauffeur qui en est d’ailleurs le propriétaire, lorsqu’il a rétrogradé. Le passage de vitesse a échoué. Le bus a du coup perdu de la puissance pour se mettre ensuite à reculer sur la montée rescapée. Dans la panique, l’aide-chauffeur a sauté», poursuit d’un ton secoué la pasteur Saholinirina Raharivola.
En raison du dysfonctionnent du système d’air actionnant les freins, ceux-ci étaient devenus inopérants. Dans sa course effrénée, le Boeing à étage s’est précipité dans le ravin. Bien que touché à la poitrine, le chauffeur est hors de danger de source hospitalière. Figure connu à Soavinandriana, celui-ci est un candidat malheureux des dernières législatives.
«Le véhicule a arraché un eucalyptus au bord du ravin avant qu’il ne s’y renverse. Tétanisés, les passagers priaient. Après un quadruple tonneau, il a terminé sa course folle en atterrissant sur le toit. En un rien de temps, il s’est embrasé. Les flammes se sont répandues à une vitesse folle», relate quant à lui Jean de Dieu Rakotondramaro, un adolescent rescapé. Dans un sauve-qui-peut, les survivants encore conscients ont évacué les lieux. Coincés dans le véhicule en feu, près d’une vingtaine de personnes ont été abandonnées à une mort certaine.
Passagers atomisés
Sambaina plongeait dans le chaos et désolation à l’aube. Les scènes qui se sont emparées des lieux du drame, ont de quoi hanter à jamais. Gisant au milieu d’un champ de ruines après que l’incendie a provoqué un feu de brousse sur plus d’un hectare, le géant des routes qui s’est écrasé se figeait dans un décor macabre, réveillant de douloureux souvenirs de sites anéantis par le souffle d’une explosion atomique. Vicié par une odeur de chair humaine calcinée, l’air est quasiment irrespirable. Jeter un regard même pendant seulement quelques secondes est des plus troublants. Des corps brûlés entassés les uns sur les autres… Mieux vaut fermer les yeux. «De nombreuses dépouilles ont été littéralement réduites en cendre. Elles étaient friables au toucher. Il a fallu aller doucement dans leurs extractions. Des têtes et des membres se détachent au moindre contact», se désole Mamy Andrianaivo, médecin inspecteur du district d’Ankazobe.
Tout autour de la Mercedes, éventrée par un bloc de rocher qui l’a arrêté pendant sa roulade meurtrière, des effets personnels des victimes ainsi que des provisions qu’ils ont emmenées pour leur séjour à Mahajanga étaient éparpillés un peu partout. Les sandales, vêtements, sacoches, couverts, riz blanc et légumes fraîches que les malheureux ont embarqués pour s’assurer d’un voyage loin des galères et qu’ils ont ensuite perdus sur les lieux du drame laissent dans la tourmente.
Sauvetages impossibles
Deux brèches sur le flanc du car ont sauvé la vie à cent trois personnes. Comprimé sous son propre poids après avoir été pris dans ce tourbillon mortel, le bus à étage était quasiment aplati après l’embardée. Toutes les vitres en volé en éclats. Pour échapper à la mort, les rescapés ont dû arracher à coups de pied les vitres épargnés.
«Je me suis retrouvé immobilisé sous cinq ou six corps que j’ai dû déplacer de toutes mes forces pour m’extirper du car qui s’est transformé en un piège de métal. Sitôt libéré, j’ai rampé à travers un tunnel étroit de ferrailles pliées, en progressant péniblement vers un éclairage, à l’extérieur du véhicule. J’ai perdu ma femme et mon enfant dans cet accident se désole», Jean Jacques.
Projeté lors de l’embardée, un chef de famille âgé d’une trentaine d’année agonisait près du Boeing en feu. Blessé, son jeune fils tentait l’impossible pour le mettre dans un endroit plus sûr mais il a été contraint de renoncer pour sauver sa propre vie. Le carburant qui s’échappait du réservoir nourri les flammes qui déferlaient sur les steppes.
Véhicule hors circuit
«Le retrait de pareils types de véhicule sur le réseau de transport national a commencé à s’opérer depuis 2012, du fait qu’il ne sont pas adaptés à nos routes. Pour contourner cette décision, les propriétaires les ont transformés en véhicule de location, qui, pour l’instant, échappent aux contrôles du fait qu’ils peuvent circuler dans toute l’île et s’adonner au transport de passagers, du moment où ils sont en règle vis-à-vis du fisc. Il leur suffit de s’acquitter d’une patente annuelle auprès des services de contribution, pour pouvoir travailler sans être inquiété et sans même demander une autorisation spéciale. Un projet d’assainissement est en cours, cela ne peut continuer», lance Gilbert Rakotozafy, directeur du transport routier auprès du ministère des Transports.
Nombre de passagers doublé
Le ministère du Transport avance qu’un pareil type de véhicule peut transporter quatre-vingt passagers tout au plus. Au moment des faits, environ cent quarante personnes dont beaucoup n’étaient pas répertoriées l’avaient pourtant emprunté. «Soixante-sept jeunes de la STK ainsi que trente-huit scouts se sont enregistrés pour ce voyage. Les autres sont des membres de leurs familles ou des personnes de leur entourage. Impossible de connaître leur nombre exact», concède l’un des organisateurs de ce voyage ayant viré au cauchemar.
Seth Andriamarohasina