Le chef de bureau de l’Organisation internationale pour les migrations à Madagascar parle des défis et des difficultés mais aussi des enjeux que les trois grands axes de la migration représentent à Madagascar.
Quels sont les enjeux de la migration à Madagascar ?
On est dans un monde de plus en plus fluide. Les échanges de personnes, de biens et de services sont de plus en plus faciles, les transports sont relativement démocratisés. Si Madagascar n’a pas été traditionnellement considéré comme un pays de migration, la Grande île représente un certain nombre de caractéristiques aussi bien en ce qui concerne l’arrivée des migrants, la mobilité des Malgaches vers l’étranger, mais aussi la mobilité interne. Tout cela représente, à chaque niveau, un certain nombre de difficultés et de défis qu’il faut maîtriser et un certain nombre d’opportunités qu’il faut valoriser. A l’OIM, le mot d’ordre est que les migrations peuvent être bénéfiques à condition qu’elles soient bien gérées.
Quels sont ces défis ?
Sur chaque aspect de grands flux, il y a un certain nombre d’opportunités et de challenge qu’il faut considérer. Autour de la migration internationale du travail des malgaches, on a constaté des difficultés spécifiques dans les pays du Golfe et du Proche orient. Des difficultés pour lesquelles l’OIM est en train d’assister le gouvernement. On a aussi un certain nombre de préoccupations par rapport à l’urbanisation accélérée liée aux phénomènes de mobilité intra-régionale et de mobilité inter-régionale, à l’exode des campagnes vers les villes. Il y a aussi un certain nombre de problématiques qui sont liées au passage des étrangers à Madagascar, que ce soit pour le tourisme ou pour les affaires. Madagascat a cette spécificité, qui part évidemment d’une bonne intention, de favoriser le tourisme et les investissements à travers un système de visa qui est relativement généreux. Cela peut avoir cet avantage de stimuler le tourisme et le passage des personnes, des biens et des services, mais cela entraîne également des difficultés de contrôle de gestion des frontières. De là peuvent découler des problématiques comme les micro-phénomènes de criminalités qui utiliseraient justement cette fluidité de frontière à mauvais escient.
Madagascar est-il prêt à faire face à ces menaces ?
C’est une inquiétude partagée, et c’en est réellement une pour le gouvernement, en particulier pour le ministère de la Sécurité publique ou pour le ministère de l’Intérieur. Les réseaux criminels sont opportunistes : à mesure qu’un pays va mieux contrôler ses frontières et ses eaux territoriales, il va y avoir un déplacement des activités criminelles vers un pays où il est le plus facile d’aller. Il est important que Madagascar ne soit pas à la traîne en la matière, qu’il puisse prendre, sur la base des informations fiables et dont la pertinence est démontrée, prendre un certain nombre de mesures visant à améliorer et à renforcer sa gestion des frontières et le contrôle du territoire.
A votre connaissance, ces réseaux criminels sont-ils déjà présents à Madagascar ?
Nous n’avons pas d’informations précises sur ces phénomènes, en tout cas, pas plus que ce qu’on lit dans la presse ou que ce que l’on nous rapporte. Mais je dirai que ce n’est même pas si nécessaire d’arriver à ce stade-là, d’avoir des preuves tangibles. On sait, sur la base de nos expériences internationales qu’un certain nombre de conditions sont favorables au développement de ces problématiques. Dans le cas de Madagascar, on en est à une phase d’alerte et il est important de faire attention à ces différentes préoccupations pour qu’on n’en arrive pas un jour à être devant le fait accompli.
Les Malgaches sont-ils prêts à accueillir des migrants quand on sait que des communautés dont les ancêtres se sont établis sur la Grande île depuis plusieurs années, ne sont toujours pas intégrées ?
Pour resituer la problématique, la grande majorité des migrants viennent dans un but légal, pour faire du tourisme, s’installer ou travailler. Ces migrants sont en règle avec la plupart sinon la totalité des réglementations en vigueur dans le pays. Mais il est vrai que dans ce flux de migration, il peut exister une partie résiduelle qui peut être problématique ou non souhaitée par l’État. Nous essayons de travailler sur cette problématique qu’on va essayer de travailler tout en ne fermant pas les frontières. Parce qu’on sait que la migration est favorable au développement d’un État, qu’elle est contributive et largement positive, mais il faut aussi contribuer à amoindrir les effets négatifs même s’ils sont largement minoritaires. Maintenant, sur cette intégration des personnes qui n’ont pas la nationalité malgache alors qu’elles sont installées à Madagascar depuis plusieurs dizaines d’années, c’est une problématique sur laquelle, nous à l’OIM, travaillons relativement peu parce que c’est une thématique abordée principalement par le haut commissariat aux réfugiés sous son mandat qui touche à l’apatridie.
On dit que les Malgaches ont le sens de l’hospitalité, mais quand on entend certains propos xénophobes, on se demande si cet adage n’est pas faux …
Je crois qu’on pourrait dire très objectivement que Madagascar est un pays accueillant pour les étrangers. Mais ici comme ailleurs, il se développe aujourd’hui un fort sentiment anti-migrant. Pour y faire face, nous essayons de mettre en évidence la dimension principalement positive de la migration. Sur la base de ce que nous avons pu voir dans d’autres pays, les migrants, contrairement à ce qu’on pense, contribuent plus à la société qu’ils n’en retirent. Mais il y a souvent cette inquiétude, comme c’est le cas en Europe que les migrants viennent voler notre travail, qu’ils vont venir éventuellement profiter des allocations de chômage …
Qu’ils viennent piller les ressources et richesses naturelles du pays …
En général, il y a ce sentiment de crainte d’être dépossédé de quelque chose qui nous appartient. Mais encore une fois, la migration est largement positive dans la plupart du pays. Lorsqu’elle est bien gérée, elle est contribue nettement au développement. Il suffit de ne pas ouvrir les portes à tout le monde. Il faut que Madagascar puisse identifier ce qui est dans son intérêt national, et ce qui s’aligne à ses objectifs de développement, et qu’en fonction de cela, puisse établir une politique ou des politiques migratoires sectorielles.
Donc, choisir les migrants qui entrent au pays ?
Absolument. Les autres pays où les Malgaches vont travailler imposent certaines conditions, et instaurent un profil des personnes qu’ils peuvent recevoir en fonction de leurs besoins spécifiques. Il n’y a pas de raison que Madagascar ne fasse pas de même. Ce qui permettra à terme à Mada de valoriser éventuellement les ressources humaines qui sont ici, de faire en sorte que sur certains bassins d’emploi, où il n’est pas besoin de main d’œuvre étrangère, cette main-d’œuvre soit occupée par la main- d’œuvre locale. Mais il s’agit aussi, en jouant ce jeu, de pouvoir mettre à disposition de certains pays qui en ont besoin une main d’œuvre sur des secteurs d’activités particuliers, sans que cela enlève au pays les compétences qui lui sont nécessaires. On a vu que dans la plupart des cas, lorsque l’expérience de la migration se passe bien, les personnes qui regagnent leur pays en reviennent satisfaites, rentrent avec des économies. Il faut également trouver une manière de valoriser pour ceux qui le souhaitent, cette opportunité d’avoir une migration bien encadrée, dans la sécurité.
Comment Madagascar peut-il protéger ses ressortissants ?
Il faut d’abord signaler qu’à ce niveau, Madagascar a fait des pas très significatifs sur l’année 2015. On a eu à l’OIM un grand programme de soutien au gouvernement malgache, mais aussi des autres partenaires impliqués dans la lutte contre la traite des personnes et dans la prévention des vulnérabilités des travailleurs malgaches. Il y a eu des étapes importantes franchies. Il y a eu, en janvier, l’adoption de la nouvelle loi contre la traite des personnes, puis en mars l’adoption d’un plan national d’action sous le leadership de la primature. Puis le bureau national de lutte contre la traite des êtres humains (BNTEH), qui est la première institution de coordination multisectorielle multipartenaire a été mis en place. Il se réunit de manière régulière depuis juin. Il est encourageant de voir ces avancées et ses signaux positifs très importants, mais c’est un travail de très longue haleine. Il faudra continuer dans la même concentration des énergies qu’on a vues en 2015, dans les mêmes efforts, dans le même leadership. Il s’agit maintenant de mettre en place et de renforcer les structures d’accompagnement des travailleurs migrants, pour que leur départ soit bien encadré et se fasse de manière régulière. Qu’ils soient préparés à l’expérience qu’ils vont vivre dans des pays ayant une culture et des mœurs tout à fait différentes. Nous sommes également en train de mettre en place les structures qui permettront d’améliorer l’identification des personnes en situation de détresse dans les pays de destination et d’améliorer la prise en charge pour un retour à Madagascar et la prise en charge ici à Madagascar.
L’idée n’est donc pas d’interdire mais d’encadrer les départs ?
Lorsque les conditions socio-économiques locales poussent les gens à aller chercher des opportunités ailleurs, l’interdiction administrative ne suffit pas à faire prendre conscience des risques. Plutôt que d’interdire, comment s’assurer que le migrant puisse se déplacer dans de bonnes conditions. Cela passe notamment à travers le renforcement de capacité du personnel consulaire pour qu’il soit plus à l’écoute des ressortissants malgaches. Mais également à travers la signature d’accords bilatéraux de travail pour mieux encadrer les conditions d’envoi et de réception des travailleurs migrants
Une direction de la diaspora, justement, est-elle utile ?
Nous travaillons étroitement avec cette direction. Elle est très importante parce qu’on observe de plus en plus à travers le monde que la diaspora est intéressée à contribuer à l’essor de son pays d’origine. Pour le cas de Madagascar, la diaspora est relativement limitée mais présente une caractéristique intéressante. Dans les pays où elle est bien implantée, on sent cet intérêt à mieux participer au développement national. Cela demande à être encadré. Nous accompagnons donc cette direction de la diaspora dans la formulation de sa politique nationale d’engagement à travers un certain nombre d’activités dont le profilage de la diaspora malgache en France. Il s’agit d’identifier les caractéristiques de la diaspora mais aussi d’entendre ses intentions, son souhait, sa demande, de quelle manière elle souhaiterait pouvoir contribuer au développement national. Par des retours temporaires au pays pour partager des expériences acquises, ou par des facilités d’investissement.
L’OIM intervient-elle sur le plan de la migration interne ?
On ambitionne de le faire en 2016. Pour l’instant, nous n’avons pas de programme dédié, mais nous le souhaiterons parce que c’est une problématique réelle qui nous est souvent signalée. La migration interne a un impact environnemental problématique mais aussi des effets de congrégation de personnes pour lesquelles les structures urbaines et périurbaines ne sont pas adaptées et qui peuvent être génératrices de tensions et de conflits sociaux.
De quelle origine ces conflits sont-ils réellement ? Socio-économiques ou plutôt ethniques ?
Je ne pourrai pas me prononcer pour Madagascar faute d’informations suffisantes. Mais ce qu’on a vu ailleurs, et qui peut trouver écho à Madagascar, c’est que les conflits essentiellement sociaux et économiques peuvent être récupérés sur des bases ethniques, religieuses et culturelles. Cela engendre des situations difficiles qu’il faut prévenir pour éviter tension et accrochage.