Le représentant résident du Fonds monétaire international (FMI) explique pourquoi la dernière mission n’a pas conclu la revue semestrielle de la mise en œuvre du programme de Facilité élargie de crédit (FEC). Il évoque le chemin que le gouvernement doit encore faire.
Pourquoi la dernière mission de mars n’a-t-elle pas tout de suite annoncé que le dossier de Madagascar sera examiné par le Conseil d’administration du FMI en juin ?
Bien que les discussions relatives à la première revue du programme économique appuyé par la Facilité élargie de crédit aient bien avancé, la mission n’a pas pu procéder à la conclusion de la revue, suite à des événements inattendus. Ces événements ont eu des impacts sur l’exécution projetée du programme au cours de l’année courante, et nécessitent la prise de mesures afin d’y remédier. Il y a d’abord le passage du cyclone tropical Enawo qui a fortement affecté le pays, début mars, et qui a laissé de lourds tributs à la fois humanitaires et économiques, nécessitant un financement estimé pour le moment à environ 20 millions de dollars. Il y a ensuite la situation de la compagnie aérienne Air Madagascar qui, malgré une évolution positive vers l’établissement d’un partenariat stratégique avec Air Austral, requiert quand même un transfert de budget afin d’éponger les dettes accumulées dans le passé pour pouvoir conclure le partenariat en question. Et enfin, il y a la Jirama qui, malgré le fait que les autorités s’y sont déjà attelées depuis un certain temps, a quand même généré des surprises, en ce sens que sa situation exige un transfert additionnel d’environ 150 millions d’ariary dû à la sècheresse, combinée avec une mise en œuvre lente des réformes planifiées.
Quelle est alors la suite du processus ?
Ces évènements inattendus nécessitent une prise en main manifeste de la part des autorités à travers le budget. L’étendue des besoins ainsi que les moyens éventuels pour les financer n’ayant pu être arrêtés d’une façon définitive au cours de la mission, des discussions et des travaux additionnels s’avèrent encore nécessaires. Ainsi, il a été convenu, d’un commun accord, que les discussions vont se poursuivre avec pour objectif d’arriver à un accord avec l’équipe technique sur la conclusion de la première revue, au cours de la rencontre annuelle du Fonds et de la Banque Mondiale qui se tient à Washington vers la fin du mois d’Avril.
Concrètement, qu’est-ce qui doit encore être fait pour que la 2è tranche de la FEC soit débloquée ?
Les autorités devraient avoir les assurances financières nécessaires pour couvrir les besoins additionnels mentionnés plus tôt, ainsi que les confirmations essentielles qu’elles ont pu ou vont rattraper certains délais accourus dans la mise en œuvre de certaines réformes structurelles. En outre, les autorités se sont engagées à produire un plan d’affaires de la société Jirama, visant à restructurer davantage ses activités. Ce qui favorisera la réduction de ses coûts, améliorera ses revenus et sera en ligne avec l’objectif principal de réduire à terme les besoins de transferts du budget de l’État. Ce ne sera qu’à l’issue de tout ce processus que le Conseil d’Administration pourrait examiner les conclusions de la revue et prendre les décisions qui pourraient conduire au décaissement éventuel de la deuxième tranche de la FEC.
Mais pensez-vous que ces objectifs puissent être atteints à temps pour que le Conseil d’administration du FMI donne son feu vert pour le déblocage de cette deuxième tranche ?
Effectivement, un certain nombre de choses devraient être encore réalisées par les autorités avant que le déblocage ne puisse se matérialiser. Mais nous sommes confiants que l’agenda prévu reste réalisable pour les autorités, dans la mesure où elles ont déjà commencé à s’y atteler au cours de la mission. À notre connaissance, elles sont déjà en train d’examiner plusieurs pistes qui pourraient combiner à la fois une amélioration de la collecte des recettes fiscales, un réaménagement des dépenses publiques et un accroissement du recours au financement intérieur afin de financer les dépenses additionnelles. Mais les contraintes imposées par le programme FEC sont une chose. Il y a également et avant tout des contraintes extérieures qui s’avèrent encore plus importantes.
Quelles sont ces contraintes ?
Pour le cas d’Air Madagascar, une importante contrainte vient de la compagnie Air Austral qui a besoin de voir clair d’ici la fin du mois de mai sur la manière dont l’État va traiter les dettes passées d’Air Madagascar pour conclure le partenariat stratégique. Il en est de même pour la prise en charge des impacts humanitaires, ainsi que les besoins de reconstruction générés par le cyclone Enawo qui sont tous deux urgents et doivent être démarrés dans les meilleurs délais possibles. Et finalement, la question de la Jirama, qui doit être adressée le plus tôt possible non seulement pour les besoins d’expansion de l’économie mais aussi et surtout de l’économie que l’État pourrait faire en diminuant les transferts vers l’entreprise. Dans tous les cas, il est dans l’intérêt du pays de se conformer à l’agenda initial, étant donné qu’un décalage important pourrait impacter d’une façon négative la mise en œuvre du programme économique et structurel tout entier, envoyant ainsi des mauvais signaux, non seulement aux autres partenaires techniques et financiers, mais aussi et surtout aux futurs investisseurs.
« Il est dans l’intérêt du pays de se conformer à l’agenda initial, étant donné qu’un décalage important pourrait impacter d’une façon négative la mise en œuvre du programme économique et structurel tout entier »
Il a été annoncé que la subvention additionnelle qui sera accordée à la Jirama ne devrait pas excéder les 150 milliards d’ariary alors que la compagnie, il y a quelques semaines, avait demandé 500 milliards d’ariary. Pourquoi lui imposer un plafond ?
Il faut tenir compte de plusieurs facteurs dans l’analyse des besoins additionnels de la Jirama en termes de transferts et sa limitation à un certain niveau. Il est vrai que ce montant final des transferts est bien en-deçà du montant initial annoncé. Cependant, il est plus crédible que le montant de 500 milliards d’ariary, voire même de 750 milliards d’ariary, annoncé à l’époque.
Sur quelle base dites-vous que ces chiffres récents sont plus crédibles ?
Les premiers montants n’étaient pas basés sur une hypothèse de calcul bien étayée. Le montant de 150 milliards d’ariary se rapproche plus des chiffres avancés par le management actuel de la Jirama et se base sur des calculs bien précis. Mais surtout, il tient compte de la mise en œuvre de certaines mesures de réformes déjà prévues mais qui ont été retardées pour diverses raisons. Il faut noter que dans l’esprit des réformes de la Jirama, le transfert additionnel n’est pas censé combler, à lui tout seul, le montant nécessaire pour que la Jirama puisse assurer le service de fourniture d’électricité. Ce transfert additionnel devrait être accompagné par un ensemble de mesures de réformes. Comme le basculement de l’utilisation des générateurs à gasoil, assez dispendieuse, vers l’utilisation des générateurs à fuel lourd plus économique ; ou encore la mise en place des compteurs intelligents ou la révision des contrats de la Jirama qui expirent avec ses différents prestataires de services, que ce soit en matière de fourniture d’énergie ou de fourniture de carburants.
Vous avez dit que les réformes menées à la Jirama sont lentes. Pensez-vous que le gouvernement veuille réellement respecter ses engagements ?
Les réformes ont mis plus de temps que prévu à se mettre en œuvre pour des tas de raisons. Mais c’était surtout une question de mauvaise gouvernance, avec les résultats que tout le monde sait et a vécu en termes de coupures de courant. La situation a été aggravée par une condition climatique défavorable avec la sécheresse qui a sévi à la fois sur les Hauts-plateaux et la partie Est, là où il y a les importants barrages hydrauliques du pays. Cette situation a fait réaliser à l’État que redresser la compagnie est plus qu’un « impératif » maintenant. D’où les récentes décisions qu’il a prises avec la mise en place d’une nouvelle équipe dirigeante à la tête de la Jirama.
On a plus l’impression que les réformes n’ont été lancées qu’à l’approche des missions du FMI…
C’est seulement une coïncidence. Il est vrai que le redressement de la Jirama est au cœur du programme de réformes soutenu par la FEC, et que nous y accordons une très grande importance, en y attachant même des conditionnalités. Toutefois, il serait erroné de penser qu’il faut procéder aux réformes de la Jirama parce que c’est une exigence ou une conditionnalité des partenaires. Il faut procéder aux réformes pour les exigences de développement du pays lui-même. Nous pensons sincèrement qu’il est plus que temps d’avancer impérativement dans le redressement de la société. Le pays table sur un accroissement important des investissements pour relancer son économie et réduire la pauvreté. Tout cela serait impossible si la fourniture en électricité ne suit pas car aucun investisseur ne sera incité à venir investir au pays et les investisseurs qui sont déjà implantés en seraient découragés.
Comment expliquer que la question du remboursement de la dette d’Air Madagascar ne soit à l’ordre du jour que maintenant ?
Le processus de recherche du partenaire stratégique ayant pris plusieurs mois, il est tout à fait compréhensible que ce n’est que maintenant, à l’approche de la phase finale de négociations avec le futur partenaire que la question du traitement de la dette de la société prend son importance. Car la finalisation du partenariat ne pourra se faire si la manière dont on traitera les dettes accumulées par la compagnie n’est pas claire pour le futur investisseur.
Mais le montant de la dette n’est toujours pas connu …
En ce qui concerne le montant de la dette, nous pensons que la compagnie en a déjà plus ou moins une idée précise, même si le chiffre final reste à peaufiner. À l’heure actuelle, c’est plus la question de financement de ces dettes qui est un sujet de préoccupation, plutôt que l’estimation du montant réel dû.
Le ministre des Finances a indiqué que pour trouver plus d’argent afin de subventionner davantage la Jirama et Air Madagascar, les douanes et le fisc doivent faire davantage d’efforts. Est-ce que cela ne risque pas de décourager les investisseurs ?
– Depuis plusieurs années, Madagascar a fourni d’énormes efforts afin d’aligner sa politique fiscale avec les meilleures pratiques internationales et le pays a plus ou moins réussi avec un nombre réduit d’impôts, des taux qui sont estimés attractifs, comparé à ses pairs du continent africain et un système dans l’ensemble, simple. Le pays a également fourni des efforts afin de renforcer son administration. D’importantes marges de manœuvre restent disponibles et il est nécessaire de les exploiter.
Ce qui peut paraître comme un harcèlement…
Quand on parle d’augmenter les recettes, l’option n’est pas nécessairement d’augmenter le nombre d’impôts en vigueur ou bien d’accroitre leurs taux. Une grande option, l’augmentation de l’assiette, reste sous exploitée jusqu’ici, base sur laquelle s’assoit l’impôt. Pour diverses raisons, et notamment de faiblesse au niveau de l’administration fiscale et douanière, l’assiette fiscale reste en-deçà de la potentialité existante avec la prolifération des activités dites informelles. L’augmentation évoquée par le ministre des Finances fait référence à l’élargissement de cette assiette fiscale, à travers une fiscalisation plus renforcée du secteur informel, et non à une augmentation des charges fiscales de ceux qui sont déjà dans le système fiscal et qui sont en règle vis-à-vis de l’administration. Dans ce sens, nous ne pensons pas que çà aura un impact sur l’investissement.
Propos recueillis par Lova Rabary-Rakotondravony